Développement agricole aux Comores : Vers une remobilisation concertée de tous les acteurs ?
Depuis l’indépendance en 1975, les Comores ont suivi différentes stratégies de développement agricole afin de soutenir ses milieux ruraux. L’étude des relations entre les bénéficiaires et les différents promoteurs du développement agricole (en particulier l’Etat, mais aussi les bailleurs, la société civile, le secteur privé) constitue une approche pour l’étude des différentes orientations de ce développement. La première réelle étape de développement (temps des CEFADER/CADER, pendant les années 80) promouvait une implication entière de l’Etat par la mise en place de Centres d’Appui aux Développement Rural, consolidés par un Centre Fédéral. Cette structure, sous la responsabilité du gouvernement, recevait tous les projets de développement des bailleurs. Puis est venu le Plan d’Ajustement Structurel et la réorientation des politiques internationales de développement en 91, et l’Etat s’est alors presque entièrement retiré des activités de développement agricole, en promouvant la responsabilisation et l’essor des parties privées et civiles. Les Centres d’Encadrement Agricole (CEA), censés être des lieux de vulgarisation et de conseil agricole, sont en réalité devenu des coquille vides, sans cohérence nationale ni activités réelles. La société civile comme le secteur privé, malgré un développement non négligeable, n’ont pas été les catalyseurs d’un développement agricole pérenne et conséquent. Face au constat d’échec de ces deux stratégies, on constate aujourd’hui une ré-dynamisation de l’Etat dans les activités du développement agricole. Le dernier projet du FIDA aux Comores a construit en grande partie son approche sur la réhabilitation de Centres de Conseil Agricole, où l’Etat, le secteur privé et la société civile se rejoindraient afin de promouvoir des actions concrètes et concertées en termes de développement agricole.
Le secteur privé représente bien souvent, dans le domaine agricole, les bénéficiaires mêmes des politiques ou projets de développement. Il s’agit principalement d’acteurs économiques individuels ou familiaux, et rarement d’ « entreprises » ou d’ « exploitations agricoles » d’envergure. A ce titre, le secteur privé semble également très lié à la société civile, en ce sens que la majorité des groupements professionnels (d’agriculteurs vivriers, maraichers, pêcheurs…) sont organisés sous forme d’association. Cet acteur, dont l’aspect ‘secteur privé’ est souvent négligé face à l’aspect ‘bénéficiaire’ dans la mise en place des stratégies, est en voie de structuration, d’organisation et de professionnalisation : preuve en est le nombre de groupements, de fédérations, de syndicats en hausse. Mais les liens ombilicaux des ces entités avec les projets et les financements des bailleurs (qui sont souvent à l’origine de leurs création et qui les alimentent de manière continue) ne permet pas une autonomisation à long terme de leurs capacités. On ne peut cependant pas nier l’existence d’un potentiel fort dans l’intégration poussée du secteur privé (en termes professionnels, en termes économiques et en termes de bénéficiaires) dans les politiques et stratégies des projets de développement agricole.
Le potentiel et l’intérêt qu’il faut porter aux membres de la société civile sont également indéniables, et ont été pris en compte depuis plus d’une dizaine d’années dans l’établissement des stratégies de développement agricoles, tant étatiques que des promoteurs exogènes. La société civile, en tant que tissu de petites associations villageoises de développement local ou de groupement de producteurs, est bien présente, structurée quand elle y voit un intérêt (présence de projets ou de rémunération), déstructurée généralement quand elle est autonome. Elle nécessite, par le biais d’un renforcement de ses capacités en gestion et en planification, qu’on lui donne les moyens d’atteindre des objectifs et une stratégie à long terme qu’elle aura elle-même déterminé. Le constat est le même pour la société civile de plus grande envergure (les ONG par exemples. Elles sont en effet également souvent opportunistes, tant dans leur réponse aux différents appels d’offre que dans la constitution de leurs membres. Mais il est à craindre que ce constat ne changera pas tant qu’il n’y aura pas de restructuration, ni de la fonction publique (d’où sont issus la majorité des membres des ONG), ni du mode d’intervention des projets des bailleurs, qui favorisent cette migration en s’appuyant sur les ONG. Très ouverte sur les projets des bailleurs, la société civile en général reste absolument méfiante et sceptique face aux interventions étatiques.
L’intervention de l’Administration Publique au niveau du développement local est d’ailleurs aujourd’hui pratiquement nulle. Les capacités nationales publiques, à tous les niveaux et dans tous les domaines, sont défavorisées par les incohérences de l’orientation générale des bailleurs liée à l’approche projet : ces derniers, en proposant un salariat aux maîtrises d’ouvrage beaucoup plus intéressant que la rémunération de la fonction publique (rémunération d’ailleurs pratiquement inexistante ces 8 derniers mois…) ont tendance à systématiquement débaucher les cadres les plus compétents de l’administration. Il est évident qu’aux Comores, un énorme travail de professionnalisation de l’action gouvernementale doit être fait. Mais il semble évident que si les bailleurs qui proposent des projets de développement agricole ne peuvent remettre intégralement en cause le fonctionnement de la gouvernance Comorienne, ils ont de fait un rôle important dans l’intégration du système publique dans leurs activités.
Le dernier projet du FIDA aux Comores a pour nom PNDHD (Programme National de Développement Humain Durable). Il s’agit d’un programme dont le principal objectif est le développement agricole et rural. Tous les acteurs semblent être impliqués : la stratégie repose sur la mise en œuvre d’activités par les communautés, avec ou sans l’appui d’ONG. Outre l’implication à tous les niveaux de l’acteur gouvernemental (Maitrise d’Ouvrage Nationale, participation aux Comités Nationaux de Pilotage, aux Comités Régionaux de Pilotage…) le FIDA, en partenariat avec la FAO, tablent sur la remobilisation de l’Etat dans le processus local de développement agricole, par la réhabilitation des Centres d’Encadrement Agricole. L’objectif de la première activité de la première composante du PNDHD, intitulée « Renforcement du cadre institutionnel et des capacités des opérateurs », est donc de mettre en place un « système pérenne d’encadrement et d’appui conseil associant les institutions des ministères, les producteurs et leurs associations ainsi que les ONG et les autres opérateurs ». Ce système, localisé dans les CEA réhabilités, et dès lors rebaptisés Centres de Conseil Agricole (CCA), permettra de mettre à disposition de tous les acteurs du développement agricole des espaces de concertation, d’échanges et d’appuis conseils à la mise en œuvre des programmes des communautés des terroirs concernés. Ces espaces, qui seraient gérés selon un mode de groupement d’intérêt économique réuniront « les représentants des associations paysannes et professionnelles ainsi que les organismes intermédiaires et les représentants des administrations concernées. ». Espérons qu’un apprentissage de travail commun permettra d’effacer les différents qui existent aujourd’hui entre les acteurs, et permettra la promotion d’une concertation efficace et pratique entre Bailleurs, ONGs/Associations, Bénéficiaires, et un Etat compétant et présent là où il est nécessaire.
Héron Raphaëlle, 31/10/2008