PPRR
Petits exploitants agricoles à Madagascar : le marché au bout du téléphone mobile
vendredi 12 mars 2010
Le miracle de la technologie change le paysage agricole de Madagascar de façon progressive. Les petits exploitants du fin fond de la brousse peuvent désormais maîtriser les réalités du marché sans être assujettis aux coûteux et fastidieux déplacements. Un simple bip et les informations s’affichent sur l’écran du téléphone mobile, que beaucoup brandissent fièrement aujourd’hui comme l’arme parfaite pour faire tomber des barrières longtemps restées infranchissables.
Une telle manière de faire était impensable quelques années plus tôt. Maintenant, elle devenue réalité. « Nous avons la technologie mais qu’en faisons-nous réellement ? Quels profits le monde rural peut-il en tirer ? La technologie est-elle une opportunité pour soutenir le développement socio-économique ? », lance Giselle, l’une des responsables du Programme de promotion des revenues ruraux (PPRR), financé par le Fonds international de développement agricole (FIDA). Il est vrai que toute nouveauté technique et technologique est synonyme de progrès dans ce monde en constante évolution. Actuellement, l’apport de la technologie dans les activités agricoles promet un avenir meilleur pour les petits producteurs Malgaches. Le projet « Bazar.mada » est conçu et réalisé dans ce sens.
Contexte Géographique et situation des producteurs
Les régions d’Analanjirofo et d’Atsinanana, zones d’intervention du Programme, constituent le cadre géographique des services de “Bazar.mada”. Elles sont caractérisées par l’abondance et la variété des produits d’exportation : vanille, cacao, girofle, café, litchis, poivre, piment, autant de sources de devises depuis des années.
Les fruits et légumes sont abondants dans la région et ils sont généralement écoulés sur les marchés locaux, où le manque d’information à tous les niveaux profite à une poignée d’acteurs. Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut rappeler que le secteur agricole représente à Madagascar 27% des productions nationales et 43% des exportations. Le riz, aliment de base pour la majorité des habitants, ravit la vedette aux autres secteurs avec une proportion de 40% de l’ensemble. Il est suivi du manioc, du maïs, de la patate douce et des graminées, cultures de base de nombreux agriculteurs.
Producteurs à la base, collecteurs-revendeurs, transporteurs, exportateurs, transformateurs, tous font partie d’une même chaîne et poursuivent un même objectif : maximiser leurs gains. Cependant,tous ne profitent pas des mêmes avantages, seuls les acteurs en amont jouissant du privilège d’accès à l’information et imposant leurs décisions à l’ensemble de la filière.
En effet, le parcours est long d’un bout à l’autre de la chaîne. Il faut souvent consentir à des heures de voyage pour accéder au point de vente et à des informations sur le marché comme le prix du jour et la quantité en circulation.
Une autre solution envisageable est de négocier avec les collecteurs familiers qui viennent régulièrement dans les villages. Cette deuxième option est la plus facile, mais les collecteurs, pour la plupart informels, fixent souvent le prix d’achat à leur gré. Ils sont les seuls maîtres à bord, les autorités publiques ne pouvant pas intervenir au nom de la libéralisation.
Force est pour les simples producteurs et les responsables locaux d’admettre la réalité même si celle-ci est préjudiciable à l’essor de l’économie locale. Les collecteurs ambulants ont toutefois le mérite de « sauver » les récoltes non vendues.
De fait, les producteurs ignorent, aujourd’hui encore, le prix réel de leurs marchandises sur le marché et souffrent d’un réel manque au niveau de l’accès à l’information. « L’essentiel pour moi est de liquider mes stocks à la veille de la rentrée scolaire pour avoir l’argent nécessaire à l’achat des fournitures diverses », souligne Ramasindrazana, planteur de girofle dans un village localisé à l’ouest de Fenoarivo Atsinanana, la capitale de la région Analanjirofo.
Le concept « Bazar.mada »
Une approche prometteuse est en application pour changer la donne. À travers « Bazar.mada », la technologie, privilège autrefois réservé à l’amont de la filière, est maintenant mise à la disposition des paysans. « Bazar.mada » est en effet un espace mettant en contact direct producteurs, marchands et exportateurs, de façon à faciliter l’échange d’informations concernant l’offre et la demande.
« Bazar.mada » s’efforce de fournir des informations sur les tendances des prix affichés sur le marché, les actualités dominantes, les fournisseurs et les personnes à contacter en cas de besoin. Pour cela, la collecte de renseignements est une technique d’approche privilégiée. L’essentiel est de répondre aux besoins de ceux qui veulent vendre et acheter des produits en leur assurant des renseignements sûrs et pertinents sur les marchés. La surenchère d’information, données inutiles et autres gaspillages sont donc évités.
Les services de « Bazar.mada » fonctionnent à l’image d’un système de collecte et de redistribution d’informations classique. Seulement, il était jusqu’à présent assuré presque exclusivement par les institutions publiques. Les données recueillies sur le terrain étaient transférées, centralisées et traitées ailleurs, puis elles étaient publiées sous forme d’articles de presse ou d’affichages.
Le nouveau système reprend la majorité de ces modalités de fonctionnement, à la différence que ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui sont autorisés, et même invités, à entrer leurs données personnelles dans le système à tout moment. Ils contribuent ainsi directement à l’animation de la structure de partage d’informations commerciales. Le système agit comme une plate-forme interactive entre les professionnels et le marché, alimentée et conçue pour et par les producteurs.
Ce mode de communication commerciale ignore les distances géographiques entre les interlocuteurs. Grâce à ce système, les petits exploitants ruraux sont en mesure de mieux se positionner vis-à-vis du marché local, national, voire international.
Mises à jour en permanence, les informations véhiculées par « Bazar.mada » comprennent les prix des produits, les quantités disponibles à un endroit précis à un moment donné, et les contacts directs ou indirects de leurs propriétaires ou des personnes à contacter. Sont également disponibles les renseignements sur les frais et les conditions de transport, l’acheminement, les trajets et les éventuelles difficultés qui peuvent apparaître. Bref, tous les renseignements stratégiques nécessaires à une commercialisation des produits agricoles doublement bénéfique.
Pour ce genre de commerce, il n´est pas forcément nécessaire de se parler de vive voix. Des envois groupés de messages texte (SMS) font l’affaire. L’essentiel est que les bénéficiaires soient au courant des tendances qui prévalent sur le marché.
« Ces services sont d’une aide précieuse, explique A. R., un collecteur d’épices. Je veux acheter tels ou tels produits à Soaniera Ivongo, par exemple. Avant de prendre la décision, je dois m’informer des prix, Je multiplie les demandes de renseignements jusqu’à ce que je tombe sur des informations fiables. »
Les paysans y trouvent aussi leur compte. « Oui, ces informations par SMS sont très utiles. Payer pour le service ne pose aucun problème pour moi. Il m’aide à connaître le prix réel de mes produits dans la ville. Je peux également mieux négocier avec le collecteur qui vient acheter chez moi. Je peux contrôler s’il dit la vérité concernant la situation du marché », se réjouit Todisoa R., un paysan résident de Vavatenina. « Grâce à ce service, Je peux contacter un autre collecteur dans le cas où le premier ne me satisfait pas. Les informations par SMS nous mettent à l’abri de l’escroquerie des gens sans scrupules », ajoute un voisin.
Les opportunités et simplifications vont encore plus loin. « Les informations qui arrivent sur mon portable facilitent beaucoup mon travail, témoigne Serge R., chef d’entreprise basé à Antananarivo. Parfois, je dois me rendre moi-même à Toamasina pour faire mes propres recherches, discuter avec des collecteurs et des opérateurs, ce qui n’est pas toujours facile d’autant plus cela prend du temps. Or, de nombreuses responsabilités me retiennent ici à mon bureau. En même temps, je dois surveiller l’organisation des collectes ailleurs. »
Avec ces services SMS, les paysans Malgaches intègrent, aux côtés de leurs pairs Africains et Asiatiques, un système virtuel appelé plate-forme « tradenet » ou le commerce sur Internet. En effet, « acheter et vendre » sur Internet et via la téléphonie mobile est très à la mode sur le continent. L’approche intégrant les services SMS en faveur de l’agriculture familiale a déjà fait ses preuves auprès des paysans en Afrique.
À Madagascar, la plate-forme « tradenet » est rendue possible grâce à l’opérateur Zain en partenariat avec les promoteurs du développement rural. La société Zain a investi plus de 60 millions de dollars dans l’extension de ses zones de couverture. À ses yeux, le potentiel rural est à exploiter. « Nous ciblons le marché rural et y voyons un grand potentiel pour le futur. Offrir ces services en exclusivité nous permet de nous positionner comme l’opérateur et l’acteur de développement du monde rural », explique l’équipe dirigeante de la société.
« Bazar.mada » ou la plate-forme « tradenet » malgache est le fruit de la collaboration entre le FIDA et la société Zain, celle-ci étant soutenue également par la Banque mondiale à travers le projet « Villages Phone ». Dans le futur, cette coopération devrait déboucher sur des applications similaires dans d’autres domaines, tels que la santé publique.
Rivonala Razafison, octobre 2009
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