AD2M
jeudi 27 novembre 2008
Dans un pays où une grande majorité de la population vit de la terre, le droit foncier est d’une importance capitale. Mais la question est complexe et reste encore largement irrésolue. Depuis plus de 100 ans, l’État malgache est l’unique propriétaire et gérant de la majorité du territoire national, des terres non immatriculées et non cadastrées, ce qui se traduit par une insécurité généralisée des producteurs pauvres qui n’ont pas les moyens d’acheter un titre foncier. Une première tentative du gouvernement, en 1999, de mettre un terme cette insécurité foncière n’a pas suffit à régulariser le régime foncier.
L’État a alors entreprit l’implémentation d’une nouvelle réforme foncière depuis 2005, avec pour objectif la décentralisation et la « réconciliation du légal et du légitime ». En d’autres termes, il s’agit est de formaliser les droits fonciers non écrits et de donner la possibilité aux agriculteurs qui cultivent la terre de formaliser leurs droits de propriété.
Venant en appui aux efforts du gouvernement malgache, le Fonds international de développement agricole (FIDA) finance depuis 2006 le projet d’appui au développement de Menabe et de Melaky (AD2M), dont l’un des objectifs est d’appuyer la politique foncière nationale malgache dans le cadre du Programme national foncier (PNF), tout en facilitant le processus de sécurisation foncière et de droits du sol au niveau régional.
Des services fonciers de proximité
Faciliter la gestion foncière décentralisée est possible grâce à la couverture nationale en administrations foncières de proximité, les guichets fonciers, mis sur pieds depuis le début du projet. Ces services communaux gèrent le régime des propriétés foncières non titrées et ont pour but de permettre aux producteurs les plus pauvres de sécuriser l’accès à la terre qu’ils travaillent. Le citoyen malgache a désormais le choix entre l’immatriculation du titre, un processus long et coûteux géré par la Direction des domaines et des services fonciers et la certification régie par les guichets fonciers, processus simple et à moindre coût.
Le guichet foncier de la commune d’Ankilizato, sur la côte ouest de Madagascar, figure parmi le premier réseau des six guichets pilotes mis en place dans le pays en 2006, et c’est également le premier guichet opérationnel de la région du Menabe. Une fois les 13 autres guichets financés par le projet deviendront fonctionnels, le guichet foncier d’Ankilizato servira de Centre de ressources et d’informations foncières soit un guichet intercommunal qui traite les données et édite les certificats fonciers
La commune d’Ankilizato est le siège d’un périmètre irrigué de 1000 Ha, avec des superficies moyennes d’exploitation de 1 Ha, sur lequel les rizières dominent.
Un effort concerté
Les activités foncières sont coordonnées entre le projet AD2M, le Service régional des domaines et le Programme national foncier. Le bailleur de fond Millennium Challenge Account (MCA) apporte son appui pour les équipements et mobiliers des guichets fonciers et fournit les images nécessaires au montage des plans locaux d’occupation foncière (PLOF). Le PLOF est un nouvel outil d’information cartographique basé sur les images satellites de la zone, pour une gestion rationnelle des terres. Le MCA finance également 17 guichets fonciers dans la région, dont six sont opérationnels. Un autre élément essentiel pour le fonctionnement des guichets est la création de commissions de reconnaissances locales, chargées d’appuyer les agents des guichets fonciers dans la reconnaissance des droits de propriété et la résolution des litiges, non en tant que juge mais en tant que médiateur. A terme, c’est la commune qui s’occupera du fonctionnement du guichet foncier à partir des droits perçus de la gestion foncière décentralisée, et des ressources propres de la commune dérivées de l’impôt foncier.
Quelques constats préliminaires
Malgré la mise en place du système et le démarrage effectif de la réforme foncière, les résultats sont encore faibles. Les demandes déposées n’ont cessé de décroître, avec 19 demandes reçues entre janvier et juin 2008 contre 215 demandes au total, ce qui est loin des 40 demandes par mois projetées par le programme national foncier. En deux ans, seuls 78 certificats fonciers ont été délivrés, un retard dû en grande partie à un manque d’images satellites nécessaire à la délimitation des terres.
Le guichet foncier ne peut opérer que dans deux communes, ou Fokontany, parmi les treize par manque de photos satellites et une grande partie des images dont ils disposent sont imprécises, en raison de la présence de nuages. Dans l’attente du PLOF prévu pour la fin 2008, une alternative a été approuvée, qui consiste à appliquer la procédure classique avec les orthophotos, complétés par les plans de repérages où figurent notamment les terres titrées. Cette méthode s’appliquera dans les communes où il n’y a pas ou peu de terrains titrés, pour éviter des erreurs. Toutefois ce n’est pas le cas d’Ankilizato. Avec l’arrivée des « vraies » images pour élaborer les PLOF, il faudra capitaliser cette phase pilote de deux ans du guichet foncier d’Ankilizato. Dans un futur proche, il sera possible d’analyser le fonctionnement de ce guichet foncier intercommunal, pilote de guichets situés dans des zones plus vulnérables, une expérience innovante puisque le concept de Centre de ressources et d’informations foncières commence à peine à être expérimenté dans le Menabe.
L’amélioration de la qualité des dossiers reçus traduit de l’efficacité des actions de sensibilisation menées par les agents du guichet foncier. Tout comme l’avancée positive considérable de l’accès à la terre des femmes : 42 pour cent des titulaires d’un certificat foncier sont des femmes. Par contre, celles-ci semblent mises à l’écart concernant les questions foncières, puisqu’une seule femme est membre parmi l’ensemble des commissions de reconnaissance locale.
« La proximité des guichets et l’inclusion des décideurs locaux comme les chefs des Fokontany et les notables dans les commissions de reconnaissance locale, a considérablement accéléré l’acceptation des réformes foncières par la population locale, explique Benoît Thierry, chargé du programme de Madagascar au FIDA. Les chefs locaux et les notables des villages sont en effet les mieux informés, les mieux à même de connaître le terrain et de résoudre les conflits entre villageois. Sur un pourcentage estimé à six pour cent d’oppositions, toutes ont été résolues à l’amiable. Les litiges concernent généralement un problème de délimitation de terrains entre deux voisins, ou un conflit entre héritiers. »
En revanche, l’absence de dates butoirs de paiement de la deuxième tranche des droits de certification reste un problème, car les règlements peuvent être très tardifs. Au total, 51 certificats fonciers édités courant 2007 étaient en instance en janvier 2008, et en sept mois 10 ont été délivrés. La principale contrainte de ce système dénoncée par les usagers est le coût trop onéreux, bien que très largement inférieur à celui du titre, des frais de certification, compte tenu des revenus limités des producteurs. Les tarifs varient de 30 000 à 35 000 ariary (12 à 15 euros).
Deux autres cas de figure sont par ailleurs examinés par le projet : les titres coloniaux et les « Terres abandonnées », nombreux à Ankilizato. Des lois sont en cours d’élaboration, dont le principe serait de déclasser les titres et de transférer ces terres aux communes. Les réglementations ne permettent en effet pas aux guichets fonciers de sécuriser les droits secondaires, soit le faire valoir indirect, pourtant très répandu. En ce qui concerne les groupes vulnérables, le projet préconise une approche plus pro-active et des traitements spécifiques, qui occasionneront cependant des coûts additionnels. L’alphabétisation, des adultes par exemple, une mesure proposée par le projet est indispensable à l’appropriation par les paysans du transfert du « savoir et savoir-faire ». La relation entre l’alphabétisation, le foncier et la mise en valeur productive est nécessaire à la pérennisation même du projet.
Si d’une manière globale la demande de sécurisation foncière augmente dans la commune rurale d’Ankilizato, certains paysans ne considèrent pas la certification comme une priorité, d’autant plus en l’absence de problèmes d’insécurité foncière. Cette situation va à l’encontre de l’hypothèse de départ selon laquelle les conflits et dossiers aux tribunaux ont augmenté ces dernières années. Le conflit résulte en fait surtout de personnes externes à la communauté qui peuvent s’approprier les terres des autres par les procédures légales comme le titrage. Cette pratique nuit à la paix et à la dynamique sociale locale en bouleversant les règles traditionnelles établies.
Comprendre les différents enjeux entre autochtones Sakalava et migrants est fondamental à Ankilizato. En effet, dans un pays comme Madagascar caractérisé par un « métissage progressif » biologique et culturel, chaque population d’une localité provient de vagues et de dynamiques de migrations instaurant des règles, le « Fihavanana », ou sagesse malgache. L’insécurité foncière que l’on constate aujourd’hui résulterait surtout d’un conflit avec le droit moderne, perçu comme inadapté aux réalités traditionnelles. Le changement des mentalités reste un processus long et délicat, d’où l’importance du rôle joué par les campagnes de sensibilisation.
Un cas d’étude in vivo
L’étude du fonctionnement du guichet foncier d’Ankilizato permet de comprendre le principe de la gestion foncière décentralisée proposé par la politique foncière et de constater les problèmes réels rencontrés sur le terrain, problèmes qui étaient jusqu’alors principalement des préjugés. Il est ainsi possible d’apporter des corrections grâce à la capitalisation des expériences acquises. Une réflexion approfondie, alimentée aussi bien par des diagnostics, des analyses, et par l’expérience des premiers guichets fonciers, est encore nécessaire, tant au niveau de la politique et de la législation foncière, que de l’appui à la mise en place des guichets sur l’ensemble du pays, et aux réajustements de leurs compétences. L’amélioration des réformes selon la logique participative doit s’appuyer sur des concertations avec les bénéficiaires, ainsi que sur des études portant sur les règles parfois complexes des systèmes traditionnels. L’idéal serait de proposer des « lois modernes » inspirées des « règles traditionnelles », bien que cela implique une certaine souplesse de façon à pouvoir s’adapter aux diverses situations à l’échelle du pays.
Laure Prouin Stagiaire FIDA, 2008
Conception : | ||
Contact : contact@capfida.mg | Copyright CAPFIDA 2011 |