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Les circuits traditionnels de commercialisation des produits agricoles et l’effet des centres d’accès au marché (CAM) dans la région d’Analanjirofo, à Madagascar

vendredi 12 mars 2010

La région d’Analanjirofo, sur la côte Est de Madagascar, a une vocation essentiellement rurale. Près de 80% du revenu des ménages provient des activités agricoles comme les cultures de rente, la production vivrière et le petit élevage. C’est dans ce contexte que le Programme de promotion des revenus ruraux (PPRR), financé par le Fonds international de développement agricole (FIDA), a établi des centres d’accès au marché (CAM) pour permettre aux agriculteurs locaux de tirer des profits plus importants de leur production agricole. Les résultats de son action varient cependant selon la filière et son degré d’organisation préalable. Analyse.


Les cultures de rentes occupent une place prépondérante dans l’économie de la région d’Analanjirofo. Héritage de l’époque coloniale de Madagascar, alors dominé par la France, les cultures de café, de vanille et de girofle continuent d’être les principales sources de revenus de la région. La production vivrière, quant à elle, est destinée principalement à l’autoconsommation et est composée de banane, de maïs, de manioc et de riz, dont l’importance économique et le rôle prépondérant dans la sécurité alimentaire des foyers sont essentiels à la survie des ménages. Enfin, le petit élevage de cycle court, autre activité d’importance dans la région, comprend l’aviculture, l’apiculture et l’élevage porcin.

Des infrastructures largement insuffisantes

Les contraintes liées à l’état physique des infrastructures et de transport posent de sérieux problèmes pour la commercialisation des produits agricoles en général. Cette réalité a généré une articulation du circuit commercial qui est très adapté aux problèmes de la zone, mais qui a entraîné des limitations et des impacts négatifs sur la qualité des produits d’exportation qui ne correspond pas toujours aux normes exigées sur le plan international. Par ailleurs, les circuits commerciaux ont été construits sur des relations très pyramidales dans lesquelles les plus-values ne sont que peu redistribuées aux producteurs. Enfin, le secteur touristique, qui possède d’énormes potentialités par l’existence de nombreux sites potentiellement exploitables, peine à démarrer en raison d’une stratégie de promotion commerciale faible et d’infrastructures d’accueil et d’accès insuffisantes et parfois de faible qualité.

Divers circuits de commercialisation selon les produits

Pour la commercialisation des produits agricoles à Analanjirofo, il existe deux catégories de circuits commerciaux : le circuit spatial et le circuit par opérateurs.

Le circuit spatial comporte deux volets : le circuit intra-régional et le circuit inter-régional. Le premier circuit concerne essentiellement les produits sortant de la production vivrière et de la production de petit élevage à cycle court. En effet, il est fréquent de trouver des petits marchés dans chaque village et communauté de la région où les paysans apportent leurs produits pour les vendre soit directement aux consommateurs soit aux commerçants. Il existe également des épiceries improvisées dans les rues et des boutiquiers qui ont des magasins installés chez eux. Les produits vendus dans ces marchés et épiceries sont la banane, le maïs, le manioc, la volaille, les produits maraîchers et le riz. Dans ce circuit, la vitesse de péremption et le pouvoir d’achat relativement bas des paysans malgaches jouent un rôle fondamental. La quantité de produits mise sur le marché est variable.

Le circuit inter-régional est, quant à lui, entièrement consacré au riz. La prépondérance de ce produit dans l’économie des ménages fait qu’il est soit commercialisé au niveau des villages de la région, soit utilisé dans les échanges commerciaux inter-régionaux. Ce circuit se caractérise par les éléments suivants : les acteurs les plus présents sont les boutiquiers et les commerçants ; il s’agit du premier marché sur lequel les agriculteurs vont vendre leurs produits, mais aussi, c’est la première étape qui fait le lien avec le circuit commercial suivant ; c’est là où les liens sociaux se développent durablement. Ce circuit est « l’expression » commerciale, économique et politique du village.

Le circuit par opérateurs est celui des cultures de rentes tels que le café, la vanille, le girofle, le piment et le litchi. Le riz est également commercialisé par ce circuit. En effet, un même produit peut présenter plusieurs formes de liaisons commerciales. Le choix du circuit de commercialisation dépend de la période et des changements des relations existantes entre les opérateurs et les intermédiaires.

De façon schématique, il est possible de distinguer les sous-circuits suivants au sein du circuit par opérateurs :

La relation de vente directe. Soit l’agriculteur vend directement sa production aux consommateurs sans intermédiaires (dans le cas du miel et du poisson par exemple), soit les opérateurs commerciaux viennent chez l’agriculteur pendant la période de récolte pour acheter le produit, puis ils le préparent pour l’envoyer au consommateur final ou au détaillant (le girofle en est un exemple).

La vente indirecte courte. Le produit (riz ou piment, par exemple) passe par un seul intermédiaire, généralement le détaillant.

La vente indirecte longue. Ce sous-circuit est le plus visible car il inclut plusieurs intermédiaires et revendeurs qui interviennent en plus du détaillant. Les produits vendus par cette voie sont en général le litchi, la vanille, le café et le girofle. Les principaux acteurs liés à la commercialisation sont :

• Les détaillants / collecteurs : ce sont généralement des commerçants locaux, ou boutiquiers, qui achètent les produits dans le village. Ils travaillent à leur propre compte et ce sont eux à qui les producteurs amènent leur production. La plupart des collecteurs dans la région sont dans cette catégorie.

• Les collecteurs directs : ils viennent des localités environnantes pour collecter le produit et repartent aussitôt. Les collecteurs directs sont divisés en deux catégories : ceux qui travaillent à leur propre compte et ceux qui travaillent pour le compte d’un grossiste. Les collecteurs directs viennent généralement des zones urbaines et proposent des prix plus intéressants que les commerçants locaux. Les collecteurs directs indépendants peuvent revendre leur produit aux marchands et détaillants dans les marchés publics.

• Collecteurs / paysans : il est à noter également l’existence, bien que peu importante, de petits collecteurs informels sur place. Ils sont souvent employés par les collecteurs directs et reçoivent des commissions.

Des réseaux basés sur la satisfaction des besoins de chacun

Les circuits commerciaux décrits précédemment présentent des éléments structurels qui expliquent leur capacité d’organisation et de réponse. Tous les acteurs concernés ont en effet la capacité de mobiliser efficacement et de manière productive au profit de tous les ressources associatives qu’ils ont dans leurs propres réseaux sociaux. Ce partenariat informel fonctionne car il met en place un réseau qui est le résultat d’une conjonction de plusieurs réseaux : les réseaux de relations au sein d’un groupe ou d’une communauté (les boutiquiers), les réseaux de relations entre des groupes ou des communautés similaires (collecteurs et prestataires de services) et les réseaux de relations extérieures (exportateurs).

Il existe un degré de confiance, résultat du fait de travailler pour atteindre des objectifs communs sur une démarche qui associe l’acceptation du risque avec un sentiment d’identité. Pour l’instant, considérant la situation d’enclavement des populations paysannes, les boutiquiers sont les seuls acteurs sociaux qui offrent une gamme de services dont les paysans ont besoin.

L’action des centres d’accès au marché varie selon les filières

En ce qui concerne le travail du Programme de promotion des revenus ruraux (PPRR) à travers les centres d’accès au marché (CAM) et son effet sur les filières, les résultats dépendent largement du produit et de la structuration de la filière.

Dans la filière riz, le travail effectué par les CAM est similaire à celui fourni par les détaillants/collecteurs, ou boutiquiers, du village sans pour autant parvenir à les concurrencer. Les CAM ont des limites au niveau économique et financier, dans la prise de décisions et au niveau de la définition des prix, et ils n’ont pas la capacité de fournir d’autres services demandés par les paysans et offerts par les boutiquiers.

Au sein de la filière miel, deux effets ont été observé. Tout d’abord, les CAM ont lancé une nouvelle technique de production le miel dans la région, notamment avec l’introduction des ruches à cadre pour la production et en fournissant des outils de transformation. Par ailleurs, les CAM ont créé un lien commercial plus direct entre les apiculteurs et les consommateurs urbains, ce qui a permis de contourner plusieurs intermédiaires et a engendré un impact économique positif sur le revenu agricole des apiculteurs.

Dans la filière litchi, le travail réalisé par les CAM a eu jusqu’à présent un impact limité, étant donné la complexité de celle-ci. Les contrats obtenus avec quelques opérateurs commerciaux à Tamatave concernaient des quantités minimes et les relations ont diminué par la suite. En revanche, les CAM ont permis de réduire les intermédiaires en établissant une relation directe avec les grossistes, et le PPRR à favorisé la conformation et consolidation de la plateforme de concertation sur le litchi (PCL).

Dans la filière girofle, le travail des CAM est encore négligeable mis à part deux effets notables sur la dynamique de la filière. En premier lieu, les CAM ont eu un effet positif sur la qualité et la quantité de la production. Le travail d’extraction des huiles essentielles a été grandement simplifié grâce aux alambics que le PPRR a distribué aux CAM, ce qui a permis aux agriculteurs d’obtenir plus de produit tout en réduisant le temps de travail. Le Programme a également appris aux agriculteurs à sécher et à mettre en sacs les clous de girofle avant livraison chez les opérateurs. En second lieu, les CAM ont commencé à renforcer les liens directs entre les producteurs et les exportateurs.

Enfin, le PPRR et les CAM sont à la base de la structuration et du démarrage productif de la filière piment. Le PPRR a apporté aux producteurs de nouvelles connaissances, un itinéraire technique et un appui dans la gestion de la qualité. Dans le domaine commercial, les CAM font le lien entre les producteurs et les exportateurs.

Jairo Paizano - octobre 2009