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PROSPERER

Le black eyes, une nouvelle culture d’exportation du nord-ouest malgache

lundi 3 décembre 2012

Une nouvelle culture attire aujourd’hui l’attention des producteurs dans le nord-ouest malgache : une variété de haricot sec appelée le “lojy black eyes”. Essentiellement destiné à l’exportation, ce produit est prisé par les agriculteurs car les marges réalisées sont très attrayantes et le cycle court de culture (75 jours) permet d’avoir un retour rapide sur investissement.


Les baiboho du nord-ouest malgache, riches terres limoneuses évoluant le longs des fleuves et cours d’eau des districts de Port-Bergé, Mampikony et Ambato-Boeny, sont depuis longtemps le lieu de prédilection des cultures de rente de la région : des colons dans les années 50 avec la culture du tabac et du coton, aux petits producteurs aujourd’hui avec l’arachide, l’ambérique vert et le lojy black eyes. Ce dernier produit, légumineuse implantée à Madagascar par l’initiative du secteur privé au milieu des années 90, gagne depuis quelques années les faveurs des producteurs et prend une importance considérable dans la région. C’est à partir de 2007, avec l’arrivée de nouveaux acheteurs dans la filière rendant le marché malgache du black eyes plus concurrentiel, que la filière a gagné de la visibilité auprès des producteurs. Ceci s’est traduit dès lors par un engouement de plus en plus fort, jusqu’à devenir une des principales cultures dans le nord-ouest malgache.

Une filière organisée autour de l’exportation

Le black eyes produit à Madagascar est essentiellement destiné à l’exportation. Il n’y a pratiquement pas de marché intérieur : la consommation locale est marginale et les industriels montrent pour l’instant peu d’intérêt pour son potentiel agro-alimentaire. Durant la campagne 2011, 17 000 tonnes de black eyes ont été exportées du port de Majunga sur deux marchés étrangers distincts : un premier, indo-pakistanais, où est écoulée plus de la moitié de la production et un marché Union européenne (UE - comprenant majoritairement des pays européens, les États-Unis et quelques pays du pourtour méditerranéen). Le premier marché absorbe un produit tout-venant, contrairement au second qui recherche des produits de première qualité, c’est-à-dire un produit calibré (la meilleure qualité se situant entre 460-480 grains pour 100 grammes). L’exigence en qualité du marché UE permet d’accéder à des prix plus rémunérateur et, d’ailleurs, si l’on considère les prix de vente 2011 sur ces différents marchés, on s’aperçoit que le marché UE obtient des prix de vente supérieur de 25%. En effet, les prix de vente moyens sur le marché occidental étaient, en 2011, de 1 900 Ar/kg, contre 1 525 Ar/kg sur le marché indo-pakistanais.

La filière black eyes actuelle s’est structurée autour les réseaux pré-existants de la région pour les grains secs et céréales : depuis le déclin des structures semi-étatiques qui pilotaient les filières agricoles (tabac, coton, maïs), le secteur privé s’est organisé pour pouvoir faire circuler ces produits de leur point de culture à leurs points de commercialisation ou d’exportation. Quatre types d’acteurs se rencontrent et coordonnent leurs activités le long de la filière : les producteurs, les exportateurs, les collecteurs et les démarcheurs. Les collecteurs sont les acteurs centraux qui font le lien entre exportateurs et producteurs. Ils regroupent et transportent les productions des villages vers les principaux centres urbains (Majunga, ou Antananarivo) d’où ils sont ensuite expédiés. Il existe des systèmes d’avances de liquidités entre exportateurs et collecteurs qui permet à ces premiers d’obtenir une quantité de black eyes précise et aux derniers de travailler avec d’importants fonds de roulement, facilitant ainsi leur travail sur le terrain vis-à-vis de la concurrence. Les collecteurs obtiennent la marchandise à travers deux méthodes qui sont soit via l’achat au comptant sur le marché local, soit en faisant appel aux démarcheurs qui vont prospecter dans les villages avoisinants une zone de marché afin de garantir aux collecteurs l’obtention de la récolte des producteurs. Tous les acteurs de l’environnement de services gravitent autour de ces acteurs centraux : les agences de microcrédit, les centres d’aide technique et les programmes de développement. Tous ces acteurs sont essentiels pour le maintien et l’expansion des activités de la filière.

De nombreux défis à relever

À l’heure actuelle, la filière black eyes est en pleine croissance à Madagascar, croissance notamment entretenue par la demande soutenue de black eyes par le marché indo-pakistanais. Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à s’investir dans la production du black eyes car les marges réalisées sont très attrayantes en comparaison aux autres cultures de rente de la région et le cycle court de culture (75 jours entre le semis et la récolte) permet d’avoir un retour rapide sur investissement.

Malgré le dynamisme de la filière et l’attrait qu’elle suscite chez les acteurs locaux, plusieurs difficultés subsistent. En premier lieu, la qualité du black eyes malgache varie fortement d’une zone du bassin de production à l’autre. Le black eyes produit dans la zone de Port-Bergé est connu pour être de plus petit calibre que celui des environs d’Ambato Ambamiray. Ces problèmes de qualité sont directement liés aux difficultés financières et techniques des producteurs et à l’accès restreint aux intrants. En effet, l’investissement nécessaire pour la production de black eyes est colossal (environ un million d’ariary par hectare), ce qui contraint certains à réduire leurs coûts en récoltant en retard, par exemple, ce qui compromet leurs chances d’obtenir un bon rendement.

La filière présente aussi un déficit d’approvisionnement en semences de qualité, élément clef pour une meilleure maîtrise de la culture du black eyes. Le black eyes cultivé est une plante hybride qui dégénère à la quatrième génération. Faute de renouvellement des semences, la dégénérescence des plantes contribue à affaiblir la qualité du black eyes produit : les grains deviennent plus petits alors que c’est un grain de gros calibre qui est recherché sur le marché local. Il existe pour l’instant peu de sources de semences de qualité dans la filière. SopAgri Majunga, une des sociétés initiatrices de la culture du black eyes à Madagascar, a conservé une activité de production de semences pour la filière et de nouvelles sociétés se lancent dans la production de semences. Cependant, le nombre de fournisseurs reste limité et le circuit de commercialisation des semences est encore trop peu développé pour répondre aux besoins des producteurs.

Une autre source de difficulté pour la filière est la stratification des relations entre les acteurs. On retrouve deux marchés complémentaires au sein du bassin de production : les marchés locaux, où les producteurs et les collecteurs effectuent leurs transactions, et les marchés entre collecteurs et exportateurs, où ces derniers achètent le produit qu’ils vont par la suite vendre sur le marché international. Cette organisation de la filière possède le désavantage de nuire à la circulation de l’information entre producteurs et exportateurs, en faveur des collecteurs, dont le rôle charnière permet d’accéder à toutes les informations au sein de la filière. La mauvaise circulation de l’information au sein de la filière restreint son efficacité, augmente les coûts de transaction et génère parfois des comportements opportunistes chez certains opérateurs qui, faute de connaître les quantités et la qualité de la récolte, déstabilisent les marchés. Ces enjeux sont d’autant plus importants à relever que la filière black eyes, d’après le travail de terrain mené, semble avoir un poids économique certain : les quantités exportées en 2011, estimées à 22 000 tonnes, illustrent l’importance qu’a pris la filière dans le nord-ouest malgache. Ce constat est d’autant plus surprenant qu’à l’heure actuelle la filière ne possède que peu de visibilité auprès des organismes de recherche et de développement présents à Madagascar et de l’État. L’équipe de PROSPERER à Sofia est, pour l’instant, la seule à se pencher sur les besoins de la filière pour comprendre ce qui pourrait être réalisé pour son développement à l’avenir. La prise en considération des enjeux de la filière et les investissements qui pourraient être menés à court terme sont d’autant plus importants qu’ils seront un levier puissant de développement économique dans la région de Sofia, où la population rurale est encore sévèrement touchée par la pauvreté.

Pour plus de détails, voir l’étude complète ci-après.