PHBM
jeudi 27 novembre 2008
En douze ans, la place des femmes a bien changé dans le Haut Bassin du Mandrare. Autrefois privées de parole et dépourvues de pouvoir décisionnel, les femmes sont aujourd’hui au coeur de la transformation économique de cette région pauvre, mais au potentiel agricole immense.
En 1996, année où démarre le Projet du Haut Bassin du Mandrare, un projet de développement rural financé par le Fonds international de développement agricole (FIDA), le constat est clair : les femmes des régions du sud de Madagascar souffrent d’un manque de reconnaissance et de considération au sein de la société. Elles ne sont pas consultées dans la prise de décisions, ne peuvent assister aux réunions qui concernent la gestion de la communauté ou, quand elles y assistent, n’ont pas le droit à la parole. Elles héritent peu ou pas du tout selon leur ethnie et il leur est parfois interdit de posséder rizières ou zébus. L’enclavement très important de la zone du Haut Bassin de Mandrare a longtemps freiné l’évolution des comportements en faveur des femmes et le très fort taux d’analphabétisme de la zone, compris entre 70 et 95 pour cent selon les communes, explique en partie cette situation.
« Nous n’avions pas réellement prévu d’activités spécifiques pour les femmes au début du projet, raconte Benoît Thierry, chargé du programme du FIDA à Madagascar. Au cours de la première phase du projet, de 1996 à 2001, nous avons davantage mis l’accent sur la réhabilitation des infrastructures productives et le désenclavement de la zone. »
En revanche, le diagnostic participatif réalisé en 2000 pour concevoir la deuxième phase du projet a donné la parole aux femmes et a soulevé la nécessité de s’intéresser plus spécifiquement à leurs besoins. Ainsi, avec l’élargissement de sa zone d’action de 4 à 11 communes, le projet a développé une approche spécifique visant à privilégier les femmes dans ses activités.
Une intégration pas à pas
L’approche du projet consistait à mener des actions de sensibilisation auprès des olo-be, les autorités traditionnelles villageoises, auprès des ray aman-dreny, les parents, et auprès des maris. Il était en effet nécessaire d’avoir leur aval avant d’entreprendre toute activité afin d’éviter tout conflit futur. Les animations ont ensuite ciblé les femmes, en commençant par les informer sur la place qu’elles pouvaient jouer dans le développement de leur communauté. La sensibilisation réalisée par les animateurs sociaux sur le terrain a été complétée par des affiches ou des spots radios produits par la cellule Communication du projet. Enfin, le projet a cherché à les intégrer dans la vie des organisations paysannes et des organisations locales de développement.
Au sein des entités de développement local mises en place par le projet, tels que les comités communaux et villageois de développement, les femmes ont été encouragées à participer et à faire entendre leurs voix pour établir les plans communaux et villageois de développement. Ainsi des organes spécifiquement réservés aux femmes dans les organisations communales et villageoises ont été créés afin qu’elles puissent identifier les problèmes qui leur sont spécifiques et proposer des solutions.
Le projet a ensuite procédé au recensement des femmes propriétaires de rizières ou de zébus afin de les inclure en tant que membres dans les associations des usagers de l’eau et dans les associations d’éleveurs. Et c’est par le Fonds pour les initiatives locales que les initiatives féminines ont été privilégiées. Celui-ci appuie en effet des projets destinés aux ruraux pauvres n’ayant ni terres ni bovins. Ainsi, les femmes et les jeunes, dont la situation économique est souvent la plus critique, ont été les principaux bénéficiaires de nombreux mini-projets en agriculture, en élevage, et dans la protection de l’environnement, dont l’objectif était de générer des revenus et augmenter ainsi le niveau de vie des participants.
Des activités génératrices de revenus spécifiques pour les femmes
La promotion des cultures maraîchères, plus particulièrement celles de l’ail et de l’oignon, a donné de très bon résultats. Plus de 4 200 femmes ont bénéficié de l’appui du projet pour le développement de ces cultures. Ces filières sont si porteuses et rémunératrices que les hommes commencent même à s’y intéresser en dépit du fait que ces activités étaient auparavant considérées comme exclusivement féminines. Les mini-projets environnementaux tels que le reboisement communautaire ou la vulgarisation de foyers améliorés ont davantage motivé les femmes que les hommes : elles y sont représentées à plus de 60 pour cent. La cellule Elevage du projet a, quant à elle, permis à plusieurs participantes de se lancer dans des activités avicoles ou dans l’élevage de petits ruminants. Le projet a enfin appuyé des mini-projets « coupe et couture » en introduisant des machines à coudre.
Le projet a également favorisé des activités à vocation plus sociale. Des formations en art culinaire visant à améliorer la nutrition des familles ont appris aux femmes à cuisiner les aliments nouvellement produits dans la zone, comme les légumes introduits par les mini-projets de cultures maraîchères. Les formations en santé communautaire comme le planning familial, la formation de matrones ou la nutrition infantile ont aussi visé spécifiquement les femmes. Celles-ci se sont également montrées très motivées par l’alphabétisation fonctionnelle où elles représentaient 46 pour cent des participants.
Enfin, des spécialistes villageoises en alphabétisation, santé communautaire, vaccination animale et animation agricole ont été formées et constituent désormais les relais du projet pour la diffusion des informations au sein des communautés.
Des services financiers au féminin
Parallèlement, la Mutuelle du Mandrare a renforcé l’autonomie financière des femmes en leur offrant la possibilité d’accéder aux services d’épargne et de crédit. Le Crédit avec éducation, qui leur est réservé, leur permet d’accéder au crédit et de bénéficier de séances d’éducation les aidant à gérer leur activité ou à améliorer leur vie quotidienne. Les clients de la Mutuelle du Mandrare sont à 41 pour cent des femmes et utilisent tous les types de crédit.
Au-delà des chiffres
L’objectif général du projet, fixé en 2001, d’arriver à 30 pour cent de représentativité féminine dans les organisations paysannes et dans les comités communaux et villageois de développement a été dépassé et a atteint aujourd’hui 40 pour cent. Si ces résultats sont intéressants, ils ne rendent pas justice à l’ampleur du changement que l’on peut constater dans le Haut Bassin du Mandraré. En effet, l’impact réel, difficilement quantifiable, concerne surtout le statut que les femmes ont acquis dans leur communauté. Au fil des années, elles ont gagné un pouvoir de décision incontestable, elles osent donner leur avis, prennent des responsabilités au niveau de la communauté et font preuve d’initiatives. Certaines sont devenues des leaders dans les comités villageois et communaux de développement. Elles sont respectées et peuvent désormais être élues par leurs pairs masculins.
De plus, les revenus générés par les femmes ont un impact direct sur le niveau de vie des familles. En effet, les femmes investissent leurs revenus dans l’amélioration de l’alimentation, de l’habillement et de la vie quotidienne, comme l’achat de machines à coudre ou de nécessaires de cuisine, alors que les hommes ont plus souvent tendance à utiliser leurs revenus pour acheter des zébus.
Les anecdotes démontrant la réelle émancipation des femmes du Haut Bassin du Mandrare sont nombreuses. Certaines d’entre elles commencent par exemple à acquérir des bœufs, symbole de richesse et de prestige social dans cette zone de Madagascar. Récemment, lors d’une réunion regroupant des délégués représentants des organisations paysannes de toute la zone du projet, la commune de Tranomaro a fait représenter ses associations d’éleveurs de bovins et de petits ruminants par une femme. C’est un symbole fort quand on sait l’importance de l’élevage, activité détenue par les hommes, dans le Haut Bassin du Mandrare.
Le désenclavement et la réhabilitation des routes réalisés par le projet ont aussi contribué à l’ouverture des esprits avec, par exemple, l’apparition de femmes collectrices de riz dans la zone.
Les mentalités continuent à changer et la dynamique initiée par le projet ne pourra que se poursuivre et se renforcer avec le temps. Les nouvelles générations du Haut Bassin du Mandrare prendront bientôt le relais et poursuivront sans doute le travail entrepris il y a déjà douze ans.
Sylvie Le Guével - octobre 2007
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