en collaboration avec

Accueil > Gestion des savoirs > Études de cas > Résultats et impact > La carte socio-spatiale du fokontany d’Isalo, un village au cœur de la région (...)

AD2M

La carte socio-spatiale du fokontany d’Isalo, un village au cœur de la région Menabe, Madagascar

lundi 21 juin 2010

Le fokontany est la plus petite circonscription administrative à Madagascar, il correspond à un village ou un ensemble de hameaux. Récit d’un voyage ayant pour but de mieux connaître la vie au sein de ce village.


Avec deux personnes du projet d’Appui au Développement du Menabe et du Melaky (AD2M) et deux personnes de l’ONG de terrain partenaire, nous partons vers le fokontany d’Isalo.

On prévoit d’y séjourner pendant 2 nuits et 3 jours. Nous y arrivons le soir et nous sommes accueillis par le maire et ses collègues dans la mairie. Nous expliquons l’objet de notre visite et le programme que nous souhaitons avoir avec les habitants : comprendre l’histoire, dessiner une carte du village, rencontrer les villageois, les femmes, les hommes et les jeunes, visiter les ménages et pouvoir discuter avec eux. On aimerait bien savoir les ressources du village, leurs atouts, leurs projets et aspirations mais aussi le contexte de vulnérabilité, les défis et les contraintes auxquels fait face la communauté.

Si nous focalisons sur le seul exercice de la carte, il permet déjà de comprendre ces diverses questions et de fournir un support pour lancer la discussion.

Le chef du fokontany sonne la cloche, fabriquée localement avec des matériaux récupérés, qui est installée au centre du village et lui sert pour rassembler les habitants. Un premier rassemblement a lieu pour fixer avec les villageois quand et où faire la réunion pour la carte. On explique donc que tout le monde est le bienvenu et qu’il ne faut pas hésiter de faire passer le message.

L’heure du rendez-vous arrive. Quelques villageois attendent, majoritairement des hommes, ils sont entre une vingtaine et une trentaine. Nous installons les grandes feuilles de papier qui vont servir de support à la carte, quelques cailloux aux bords pour éviter le vent de tout emporter. Ensuite, nous sortons les feutres de couleur et les petites feuilles de couleur. Dans l’équipe, on se partage les tâches : deux animateurs, deux preneurs de note et deux photographes.

Les animateurs lancent alors la dynamique. D’abord, il faut expliquer le but de l’exercice : que le village possède sa propre carte, élaborée selon leurs représentations, et qui soit un portrait de leur communauté à cet instant. On demande à un volontaire de prendre le crayon pour tracer les rues. Le plus simple est de situer l’axe principal qui traverse le village par rapport aux 4 points cardinaux.

Un volontaire se présente après quelques hésitations. On lui propose de demander l’avis de l’assemblée avant de tracer la rue sur la carte. Les personnes s’empressent de donner leur avis : elle passe par-ci, arrive par-là, et notre volontaire commence à le tracer. Une fois cet axe placé, on demande où se trouve donc la place où nous nous rassemblons, sous le clocher, et le tracer. Puis les questions continuent, c’est l’occasion de faire l’inventaire des infrastructures présentes : avez-vous une école ? Où se trouve-t-elle ? Avez-vous un centre de santé ? Où se trouve-t-elle ? Où cherchez-vous l’eau ? Où sont vos rizières ? Où vont les zébus ?

A Isalo, on retrouve donc plusieurs temples, une brigade de la gendarmerie, une école primaire et secondaire, plusieurs puits. Toutes ces questions permettent de faire le tour de ce que possède le village. On arrive alors à une carte des infrastructures, on ne trouve encore aucune habitation. Plusieurs volontaires se sont impliqués, on demande aux hommes, aux femmes et aux jeunes de prendre le crayon à tour de rôle. Mais ce sont toujours les mêmes personnes qui, sûres d’elles, se prêtent au rôle. La majorité ne se sent pas « apte » à dessiner, peut-être par manque d’éducation ou par peur d’un exercice nouveau ?

Ensuite, on demande aux villageois de placer son patrimoine sur la carte : sa case, les membres de son ménage (nombre d’enfants ou de parents), le bétail et les animaux, le matériel, les cultures, etc. Toutes les informations permettent de cerner le patrimoine de chaque ménage. Mais elles permettent aussi de savoir les différences qui peuvent exister entre les ménages, et de voir si ces différences sont spatialement réparties ? Y a-t-il des zones où se trouvent les éleveurs de zébus ? Des zones où habitent les ménages qui n’ont pas de terres ?

Pour cela, il faut que chaque ménage participe : on distribue les petites feuilles de couleur et on fait circuler des feutres. Chacun est invité de dessiner : sa maison et tout ce qu’on y trouve. C’est un moment d’excitation mais aussi de peur. Pendant que certains s’empressent de tout dessiner, d’autres nous posent des questions. Est-ce un moyen de recenser les zébus pour la taxe ? On voit des peurs et des hésitations : « on ne sait pas dessiner », « je ne sais pas si je dois dessiner ma maison comme cela »… Alors, il faut revenir sur l’objectif de l’exercice et bien expliquer pourquoi ces informations sont nécessaires, pourquoi il est important que le dessin soit le fruit de leurs représentations.

Quelques premières personnes finissent de dessiner et s’avancent pour nous les présenter. Avec leur avis et celui des autres, on demande où se situent-ils dans le village ? A quel endroit ? Comment les repère-t-on : proches de l’école, du puits, de l’église ? On les aide à se situer grâce aux repères tracés. Les personnes suivantes se situent plus facilement par rapport aux autres : « moi j’habite au Nord de X, entre la maison de Y et de Z », « nous, nous sommes justes à quelques mètres de la décortiquerie », etc.

On finit par placer toutes les cartonnettes. Et là, on est en mesure de repérer les absents, les cases qui n’ont pas pu être dessinées. On demande donc au chef du fokontany de se charger de compléter la carte avec les absents.

Les villageois sont souriants, heureux de leur ouvrage. On remarque aussi que les habitants se sont joints petit à petit à l’exercice. Le petit groupe de départ s’est vite élargi avec un coin où se trouvent les hommes, un autre avec les femmes et un dernier avec les enfants venus en grand nombre.

C’est donc une bonne occasion pour discuter sur les sujets évoqués plus haut. « Les richesses naturelles de la commune comme le lac, les poissons, l’or, ont été citées durant cette exercice mais aussi les contraintes et problèmes comme l’éloignement de l’hôpital, la maladie des cultures et des animaux, le problème de terrain avec l’OFMATA (Office Malgache des Tabacs). »

Les habitants expriment alors leurs attentes et leurs aspirations : le retour du Centre de Santé de base à Isalo, l’électrification et télévision au village, une adduction d’eau potable, avoir des enseignants suffisants et payés par l’Etat, des matériels agricoles et des produits vétérinaires, une formation sur la gestion du budget familial, etc.

On prend note de toutes les informations car nous espérons revenir sur ces sujets lors des focus group et des visites dans les ménages. Comme l’exercice demande déjà beaucoup de temps et d’investissement, il n’y a pas de place pour approfondir les sujets évoqués. Il permet cependant de faire un tour d’horizon et d’obtenir des points d’entrée pour les prochains rendez-vous.

La carte est photographiée. Elle est ensuite remise au chef du fokontany pour qu’il complète et qu’il la conserve pour les éventuels besoins de son village.

On en tire les leçons pour les prochaines réunions. Comme dans tout exercice participatif, les animateurs se trouvent face à plusieurs défis :
- Expliquer les objectifs et la démarche pour que l’exercice soit clair
- pour la gestion de la parole et la prise du crayon : limiter ceux qui ont tendance à la monopoliser, inciter ceux et celles qui n’osent pas s’exprimer ou venir dessiner
- réagir face aux peurs et aux réticences
- gérer les désaccords qui peuvent émerger entre les participants

Cela est la clé d’un exercice participatif, d’autant plus qu’il ne peut y avoir de « participation totale et égale » de tous les membres de la communauté. Si les absences sont inévitables, il y a aussi les « silences » observés par certains.

Anja Rabezanahary, juin 2010