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mercredi 8 décembre 2010
Inclure les plus démunis : quels défis ?
Comment introduire une approche inclusive dans les programmes de développement rural ? Une approche inclusive serait définie comme le processus qui intégrerait toutes les différences à tous les niveaux et à toutes les échelles : de sexe, de race, de classe, d’âge, d’origine, etc. C’est également pallier à un manque chronique d’opportunités et d’accès à des services de base de qualité, au marché, à de bonnes conditions physiques, à des infrastructures adéquates et au système de droits. Le « développement inclusif » est donc un processus visant à instaurer une communauté inclusive dans sa globalité. Autrement dit, c’est le processus qui consiste à assurer que tous les groupes marginalisés ou exclus sont inclus dans le processus de développement. Formuler une politique d’inclusion est la première condition mais cela ne doit pas faire l’économie de mesures ciblées pour renforcer les plus faibles et les plus exclus. En effet, même si une Constitution prévoit l’égalité de tous les citoyens, il est difficile de rendre réel une telle volonté politique.
Cette démarche inclusive passe par une compréhension des sociétés concernées ainsi que la compréhension des groupes exclus. D’une part, cela permet de lever les obstacles construits par la société, d’autre part, cela permet de renforcer les capacités des groupes exclus ainsi que de soutenir leurs actions en faveur de leur inclusion. Nous pouvons faire l’hypothèse que les groupes exclus en milieu rural sont les paysans sans terre, les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les immigrés et les handicapés. De nombreux groupes sont à l’heure actuelle marginalisés ou exclus de toute participation. Il s’agit alors de penser à une structure sociale intégrant les différences et qui puisse combattre la discrimination et bien souvent l’auto-exclusion, sous toutes ses formes. Dans certains cas, il faut une grande attention pour comprendre les faits discriminants. Cela peut être dû à des facteurs socioculturels comme le stéréotype selon lequel l’espace public est réservé aux hommes. Mais aussi, le fait de parler la « langue du colon » peut conduire les personnes parlant la langue locale à s’auto-exclure. Les horaires définis pour les réunions communautaires peuvent être inadéquats aux jeunes mères qui disposent de peu de temps.
Mais à quels défis doit-on se préparer ? Concrètement, parmi les figures de l’exclusion sont divers. A quoi doit-on s’attaquer sur le terrain ?
Soa et Nadine, exclues par la société suite à un délit
Dans le village de Mahatsara, dans une région orientale de l’île, nous avons rencontré deux femmes. Soa a 18 ans, elle a son enfant de deux ans et demi dans les bras. Sa tante, Nadine a 30 ans, elle vit avec son fils de 10 ans. Toutes deux sont seules avec des enfants à leur charge. Leur habitation est très sommaire, deux cases d’à peine 5 m² avec un coin pour le feu et la cuisine, ravagées par un cyclone en 2008. Elles n’ont pas pu bénéficier d’une aide à la reconstruction (fournie par une ONG internationale) comme le reste du village. D’après elles, le président du fokontany ne les ont pas inscrites sur la liste des bénéficiaires de l’aide. « Tout le monde y a eu droit sauf nous, je ne sais pas pourquoi le président ne nous avaient pas inscrites » dit Nadine avec un semblant d’amertume. Elle continue de nous raconter ses mésaventures et sa misère. Alors, nous lui demandons si elle fait partie d’un groupement ou d’une entité pouvant l’aider. Elle nous répond alors « non, je ne fais pas partie de l’association des femmes car elles n’aident pas, elles savent très bien dans quelles conditions je vis. Elles, elles ne font que boire et danser. »
Une rencontre avec le président nous permet donc de rapporter cette discussion. Pour sa part, il qualifie ses deux femmes de « paresseuses » : elles sont jeunes et ne travaillent pas. Elles passent leurs temps à s’apitoyer sur leur sort. Elles ne participent pas aux obligations sociales du village. Soa nous aurait menti, elle aurait un « mari ». De plus, Nadine a été surprise en flagrant délit de vol. Pour sanction, elle a été exposée aux villageois les poings liés. Nous n’avons pas été en mesure de connaître toute la vérité étant donné les différentes versions que nous avions entendues. Quand viendra le jour où cette femme pourra participer et bénéficier, au même titre que ses voisines, à la vie sociale du village ? Le rôle des leaders locaux est essentiel. Certainement, il y a des chefs villageois qui savent apaiser les conflits, d’autres qui les alimentent, d‘autres qui ne font rien….
Madame Esther, elle s’auto-exclue elle-même du fait de sa situation
Elle a la trentaine, mariée avec 3 enfants. Habitant le quartier sud du village, elle hésite beaucoup à nous faire entrer dans sa maison. Après discussion avec le chef du fokontany (le village), il nous indique que les ménages les plus pauvres de son fokontany se concentrent tous dans le quartier sud. Nous y allons donc dans l’espoir de pouvoir discuter avec eux. Les premières réactions des habitants peuvent en dire très long sur leur sentiment d’exclusion. Le simple fait de se trouver dans le côté sud du village témoigne déjà de leurs difficultés. Nous demandons donc s’il est possible de discuter avec elle sur la vie de leur ménage…troublée et intimidée, elle nous dit qu’elle n’a rien à livrer. Sa fille, âgée de 15 ans, nous souffle qu’ils sont en grande difficulté et incite sa mère à en parler. Mais toujours intimidée ou se sentant humiliée, elle ne nous ouvre toujours pas la porte. Sa fille, insistante, parvient à convaincre sa mère de parler. Une fois chez elle, nous avons tout de suite compris les raisons de cette « auto-exclusion ». Esther et sa famille est hébergée chez un voisin généreux qui leur offre une pièce gratuitement depuis 5 mois maintenant (après le passage d’un cyclone). La pièce n’a aucune fenêtre, ils vivent à 5 dans le noir, seule la porte offre la lumière du jour. Les seuls meubles de la pièce sont un matelas et quelques marmites, ils sont complètement usées et trouées…Avec son mari, ils possèdent une rizière. Faute de moyens de production, ils l’ont mis en location pour une somme totalement dérisoire (30 000 ariary soit 15 USD pour 3 ans). Leur fille est scolarisée malgré qu’ils ne soient pas en mesure de payer les frais de scolarité. La communauté apporte donc à cette famille une aide considérable. Se sentant totalement assistée, elle parvient à penser qu’elle n’a plus son mot à dire !
Exclusion d’un village du fait de son histoire : le cas de Nahasy
Dans la région de Vatovavy-Fitovinany, le village de Nahasy se trouve à quelques kilomètres de la ville de Vohipeno. Elle fait partie des fokontany de la commune de Vohindava. La piste conduisant au village est bien aménagée et bien entretenue, aucun problème d’accessibilité. A l’entrée du village, une croix est érigée, laissant le visiteur dubitatif. Au cours de la discussion avec les villageois, notamment sur leur histoire, les anciens restent silencieux. Un catéchiste, aisé dans la prise de parole, nous explique l’origine du village « Nohona était riche en terre, nous avions de grandes superficies fertiles. Les villages aux alentours, pris de jalousie, ont donc incriminé le chef du village d’antan de zoophilie. Ils nous ont donc maudits et exclus, nous dépouillant de nos terres ». Depuis, aucun descendant de ce village n’a pu échapper à cet héritage historique. Nos proches voisins nous excluent. Il nous faut migrer très loin pour pouvoir entreprendre. Et dès que nous pouvons changer de ville, nous changeons d’identité en adoptant le nom de la nouvelle ethnie. Tous les villageois aspirent à ce que cette exclusion prenne fin…L’église a joué un rôle prépondérant dans le changement de mentalité. Autrefois taboue, l’histoire est de plus en plus assumée par les habitants. Ils souhaitent que le sort soit brisé. Mais dans la région, le « mythe » reste impardonnable et les tabous liés à ce village demeurent assez forts. L’exemple le plus parlant, l’ethnie dominante de la région, les Antemoro, ne peut en aucun cas partager un repas avec les habitants de Nahasy. Cela signifie donc que toute coopération avec les villages avoisinants sera difficile. L’histoire est très intéressante et permet de voir le poids des tabous et du passé. Il est alors primordial de comprendre le contexte, de se défaire des réponses et des interprétations ‘pre-cooked’, d’avoir une grande capacité d’écoute (et aussi comprendre les silences, par exemple le silence des anciens…).
Même s’ils ne sont pas exhaustifs, ces trois cas posent alors une vraie question : comment inclure des groupes marginalisés dans un système qui les ont préalablement exclus ? Il s’agit alors de trouver la solution dans le problème. Les personnes sont pauvres parce qu’elles sont exclues des services communs, et leur exclusion des services communs conduit à la pauvreté. C’est l’éternelle question de l’origine de la poule et de l’œuf ! Pour libérer de l’exclusion sociale, l’inclusion sociale doit s’attacher à changer les représentations qui structurent les différentes catégories de la société. Face aux différentes figures d’inclusion et exclusion, dans différents domaines… Les principaux défis seraient d’abord de changer les perceptions puis de repenser les faits et situations qui les déterminent. Ces dernières découlent pourtant de notre vie sociale. Alors, comment voir une femme pauvre comme un acteur de développement potentiel et penser les activités pour qu’elle puisse participer ?
Les plus nantis trouvent leur compte dans un système qui exclut. En effet, si l’on évoque la main d’œuvre salariale, les personnes exclues constituent une masse peu exigeante au niveau des conditions de travail. C’est le cas de Nohona, les villages voisins n’hésitent pas à faire appel aux habitants de ce village pour les travaux des champs…sachant qu’ils n’ont pas le choix du fait de leur marginalisation.
Inclure les plus démunis implique véritablement un changement de mentalité avant tout autre dispositif opérationnel. L’exclusion est un phénomène social qui est présent dans toutes les sociétés. Pour maintenir l’équité sociale, il faut donc savoir partager les bénéfices du processus de développement à tout membre de la communauté. Le défi est énorme !
Anja RABEZANAHARY Stagiaire FIDA, août 2009, Madagascar
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