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Professionnaliser la culture traditionnelle des huiles essentielles pour une meilleure insertion économique des producteurs

mardi 16 décembre 2008

Le Programme de Promotion des Revenus Ruraux (PPRR), soutenu par le Gouvernement malgache, le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) et l’OPEP, a pour objectif principal d’améliorer les revenus des paysans producteurs afin de réduire la pauvreté rurale. La zone d’intervention retenue pour la première phase est située au Nord Est de Madagascar, dans le sud de la région d’Analanjirofo, littéralement la forêt des girofliers en malgache, et où les paysans pratiquent déjà la production d’huiles essentielles de manière traditionnelle.


Revaloriser les revenus

En accord avec les populations locales, la production d’huile essentielle [1]de girofle a été choisie pour servir de point de départ à des opérations de valorisation et de dynamisation de cette culture d’exportation, ainsi que pour l’intégration des petits producteurs dans le circuit du marché.

En effet, il existe une forte demande internationale de la part des industries cosmétique, pharmaceutique et agro-alimentaire pour les huiles essentielles, en particulier les huiles dites « fines » comme celles tirées du clou de girofle, du poivre, de la cannelle, du gingembre ou du « ravintsara » (plante malgache bien connue pour ses vertus médicinales).

Une production lucrative mais irrégulière

Des feuilles du giroflier, on extrait une essence très riche en eugénol entrant notamment dans la fabrication de médicaments antalgiques et de la vanilline [2]. Les essences de clous, de griffes, de feuilles, de branches et d’antofles [3] sont utilisées en pharmacie, dans l’industrie cosmétique ou chimique (peintures et vernis), et en milieu médical, qui emploie le girofle pour ses vertus bactéricides, analgésiques, anesthésiantes et antifongiques [4].

La période de cueillette des feuilles a lieu généralement entre mars et juin, puis à partir de novembre, après la récolte des clous. Il n’y a pas à proprement parlé de « plan de production » : on cueille les feuilles en cas de besoin d’argent, notamment dans les périodes festives, comme on puiserait dans une tirelire ou un compte épargne. Lorsqu’il doit faire appel à une main d’œuvre extérieure, le propriétaire du giroflier perçoit la moitié de l’huile produite, l’autre étant gardée par le cueilleur. De plus, un litre d’huile est donné à titre de location au propriétaire de l’alambic. La cuisson d’un alambic traditionnel dure environ 24 heures, pour une production de 6 à 7 litres et exige au minimum un m3 de bois.

Selon les membres du groupement de producteurs KOTAM, dans la commune d’Ampasina-Maningoury, la cueillette des feuilles de girofle en vue de leur distillation dans les alambics traditionnels est une activité assez lucrative, mais qui exige beaucoup de main d’œuvre, ce qui la rend parfois difficile pour les personnes isolées. Le prix de vente d’un litre d’huile varie entre 5 000 et 10 000 ariary [5], et dépend moins de la qualité du produit que de la demande à un moment donné. L’annonce de l’arrivée d’un bateau au port fait monter les prix tandis que l’approche des fêtes les fait baisser, car l’offre de produits est alors plus importante en raison des besoins d’argent des producteurs. Les collecteurs traditionnels, commerçants « boutiquiers » ou "mercenaires", achètent l’huile au litre, et la revendent au kilo, accroissant d’autant leur marge bénéficiaire.

Garantir une production de qualité

En 2004, selon la statistique du ministère de l’économie, des finances et du budget, Madagascar exportait 1000 tonnes d’huiles essentielles de girofle. La quantité annuelle d’exportation oscille autour de ce volume. Le prix de l’huile essentielle extraite des clous est cinq fois plus élevé que celui de l’huile extraite des feuilles.

Les fluctuations des cours mondiaux du girofle sont très fortes, le prix FOB variant de 8 000 Ar. en 2001 à 3 000 Ar. en 2003 pour remonter à 7 000 Ar. en 2006. En outre, la production des girofliers n’est pas régulière et les quantités varient beaucoup d’une année sur l’autre. Cependant, le produit sec peut être stocké dans l’attente de prix plus favorables.

Si les produits sont en général de bonne qualité, des améliorations techniques sont cependant indispensables, en particulier pour accroître le rendement au niveau de la distillation, qui reste très bas pour les alambics traditionnels. La quantité d’huile essentielle contenue dans les plantes est toujours très faible, voire minime. Ceci explique le coût élevé des huiles essentielles, qui est lié à leur rareté et non au procédé d’extraction qui reste le même pour la plupart des plantes. Mais les améliorations doivent surtout porter sur les conditions de stockage et de manutention des produits, où les risques de pollution ou de contamination des produits sont les plus élevés. Des cas d’adultération [6], l’additif étant parfois toxique.ont été récemment signalés par des acheteurs internationaux, nuisant à la bonne réputation dont jouit Madagascar sur le marché mondial des essences.

En effet, le contrôle exercé au moment de l’exportation porte sur l’origine et la nature du produit exporté (délivrance entre autres d’un certificat phytosanitaire). En revanche, il n’y a pas de contrôle sur la qualité ou sur le respect des normes, qui sont généralement convenues entre les professionnels de la filière. Ces normes ne font pas l’objet de réglementation, mais d’exigences commerciales selon les destinataires des produits (parfumeries, pharmacie, industries chimiques, etc.) et les pays. Certains pays importateurs surveillent plus particulièrement certains paramètres comme la teneur en résidus de pesticides, aflatoxine, traces de métaux lourds et contamination microbienne.

En conséquence, comme souvent en matière de commerce international, la confiance réciproque entre acheteurs et vendeurs d’huiles essentielles reste le meilleur atout pour garantir les débouchés.

Professionnaliser les filières et impliquer tous les acteurs

C’est en raison de son expérience et de sa notoriété dans le secteur de la production et de l’exportation des huiles essentielles que M. Fidèle RAKOTONIRINA a été contacté par le Programme de Promotion des Revenus Ruraux pour conseiller les membres de la commune d’Anjahambe à propos de l’installation et l’exploitation d’un nouvel alambic pour la distillation par vapeur d’eau d’huiles essentielles.

Cet exportateur, qui est Président du Syndicat Professionnel des Exportateurs d’Epices de Madagascar, est également membre du Syndicat Professionnel des Producteurs d’Extraits Aromatiques Alimentaires et Médicaux (SYPEAM) et de PRONABIO. Avec sa société PROEST, spécialisée dans l’exportation des épices, il est l’un des 15 acteurs reconnus à Madagascar dans le domaine des huiles essentielles.

Selon M. Rakotonirina, Madagascar dispose encore de bons atouts malgré une forte concurrence sur le marché international des huiles essentielles, en raison de la variété des plantes que l’on peut trouver dans ce pays et du fait de la faible utilisation d’engrais et pesticides, qui confère un caractère presque naturellement « bio » aux produits. La diversité de la ressource est aussi un élément important pour les producteurs, qui pourraient étaler davantage leur production tout au long de l’année. Cependant, une attention plus grande devrait être portée à la préservation de ces ressources, à leur entretien et à leur renouvellement. Les girofliers vieillissent, les effets des cyclones saisonniers sont souvent dévastateurs sur les plantations anciennes, et il faut attendre parfois cinq ans pour certaines espèces, avant de pouvoir récolter les fruits des arbres replantés.

La formation des producteurs est donc primordiale, et elle doit associer tous les professionnels de la filière concernée. C’est dans cet esprit que M. Rakotonirina entend développer sa collaboration avec les membres du groupement TSARA FANIRY, en saisissant l’occasion de la mise en place d’un alambic moderne plus performant, pour prodiguer des conseils portant sur la maintenance de cet équipement (qui a été financé par le PPRR) ainsi que sur les conditions de sécurité et d’hygiène à respecter pour obtenir un produit de qualité. D’autres opérateurs de la filière sont prêts à appuyer les producteurs en matière de conditionnement, à les former aux « bonnes pratiques » et à les aider à mettre en place un contrôle interne, ce qui pourrait valoriser le produit au moment de la vente.

La recherche de cette « valeur ajoutée » constitue d’ailleurs le défi majeur auquel sont confrontés les nouveaux Centres d’accès au marché (CAM), qui sont progressivement mis en place par le PPRR et les Groupements des producteurs dans la zone du projet. C’est aussi sur la qualité des services qu’ils rendront à leurs membres, tant par les facilités de regroupement des produits que par les débouchés qui leur seront offerts, que les CAM seront considérés comme acteurs indispensables de la filière, et qu’ils pourront devenir « l’entreprise » de chacun et l’affaire de tous.

Notes

[1] On appelle « huile essentielle » (ou parfois essence végétale) le liquide concentré et hydrophobe des composés aromatiques volatiles d’une plante. L’obtention des huiles essentielles se fait soit par distillation, soit par expression des zestes (et dans ce cas il s’agira d’une essence), soit par extraction par solvants.

[2] Il faut environ 350 kg de feuilles de girofle pour obtenir 6 à 7 kg d’huile essentielle comportant entre 75 et 88 % d’eugénol.

[3] Fruit du giroflier

[4] Cf. Etude des marchés internationaux Piment et Girofle. C. Schweitzer & L. Ranaivosoa

[5] soit 2 et 4, 25 euros

[6] Pratique frauduleuse consistant en l’ajout d’un produit de moindre valeur à un autre produit